Carnet de bord

Départ de Besançon le 8 juillet 2001, arrivée à Narvik le 13, puis à Alta le 25... départ le 26 vers l'Est...

Vendredi 27 juillet 2001

Départ 11h30. Pluie. Nous marchons (plutôt «je marche») sur une petite route qui relie Alta à Stilla. Je cours de temps en temps. Ca grimpe. Beaucoup de cascades. La route remonte un torrent sur des kilomètres et des kilomètres. Camp peu après Stilla (une carrière d’ardoise) dans une forêt de bouleaux. Pâtes avec saucisses, tomates, oignons. Nuit froide…

Samedi 28 juillet 2001

Départ à 14h, après avoir dit au revoir à l’ENORME rocher près du camp. Pluie fine. Jora a quelques problèmes digestifs, bonjour pour changer les couches… elle est très intéressée par les champignons (qui sont pour la plupart comestible, ça c’est génial!).

Nous devons prendre (et d’abord trouver) le chemin qui va à Joatkajavrri (à priori, une auberge au milieu des plateaux…). Fini la route facile, le chemin est complètement ravagé. Non, ce n’est un chemin, ce sont des traces laissés par les passages de quads dans la boue, les rochers, les ruisseaux… Le chemin est heureusement bien marqué par des (T) rouges. Un Same (ou Lapon) que nous avons la chance de croiser peu après m’indique que nous nous sommes trompés de chemin et que nous allons en plein désert (mais quelle différence?). Je n’ai pas retrouvé l’autre chemin (le «bon») que les fixations de la roue avant de la calèche pètent. (…)

Nous avons beaucoup de chance: nous sommes tombé en panne à coté de la «Fence», la Clôture. C’est une clôture unique qui ne délimite pas un espace fermé mais ouvert, elle s’étend en ligne droite sur des centaines de kilomètres, traverse forêts, rivières, plateaux, montagnes... elle sert plus à guider les rennes qu’à les enfermer, pas seulement les rennes d’ailleurs… Oui, donc, beaucoup de chance, car je récupère (avec parcimonie) des bouts de la clôture pour «réparer» ma roue avant*. Le fil de fer et l’universalité… En tout cas, ça ne bouge plus qu’un petit peu.

Nous posons le camp à l’endroit même de la panne, au bord du Javret. Ce lac est hallucinament beau. Vite couché. Très froid mais dans la tente ça va.

Dimanche 29 juillet 20

Repos. Après tout c’est dimanche… Malgré le vent glacé, Jora joue dehors toute la journée. Parfois, un bruit de moteur, un quad passe. Parfois aussi, un enfant dessus. A midi, je cuisine du riz avec du beurre, de l’aïl, du fromage et la «Goïke Birku», de la viande de renne séchée. C’est incroyablement bon.

Lundi 30 juillet 2001

Il pleut, il pleut, il pleut, j’en ai marre. Inutile de songer à partir aujourd’hui. Un journée sous la tente… Mais le soir est plein d’espoir: demain, s’il fait beau, nous irons dans la montagne…

Mardi 31 juillet 2001

Mercredi 1er août 2001

Nous passons deux jours à nous reposer à Joatkajavrri, à la «fellstue», l’auberge, pendant que dehors, c’est la tempête, trois degrés et un vent très fort.. Je fais de la lessive (c’est beaucoup de travail vu qu’il n’y a pas l’eau courante), apprends quelles plantes et quels champignons on peut manger par ici… L’auberge n’est vraiment pas cher, cinq fois moins que ce que l’on trouve enville, c’est à dire à peu près pareil qu’en France… Je me sens très fatigué et je dormirais bien toute la journée… mais ce n’est pas très facile avec Jora qui ne l’est jamais et saute partout tout le temps, veut une histoire, un calin, un verre d’eau, attrape-moi, pipi, dessiner, papa-je-peux-plus-descendre, etc…

Vendredi 3 août 2001

Je décide de partir pour Bobojaetski sans la calèche, avec simplement un petit sac-à-dos contenant quelques vivres et un sac de couchage, Jora sur mes épaules. Elle arrive presque à s’y endormir, sa tête simplement posé dans mes cheveux, tendis que nous traversons les plateaux herbeux et déserts, baignés de soleil. Bobojaetski est un refuge non gardé, une cabane perdue dans la montagne, avec un poêle… Ca fait drôle de marcher sans tente, car là nous devons absolument trouver le refuge. Mais ici, on ne risque pas de se faire surprendre par la nuit… Je suis stupéfait de découvrir finalement bien plus qu’une cabane: un vrai petit chalet! Une poêle, du bois et même du petit bois coupé d’avance, de vrais lits, un coin cuisine avec le gaz , des bougies, des rideaux, une réserve d’eau, de l’herbe sur le toit, une antenne pour la radio, une nappe à carreaux bleus, un calendrier à la page «août». Vingt Dieux! Il est déjà tard, je cuisine du riz avec du beurre.

Samedi, dimanche, lundi 4, 5, 6 août 2001

Trois jours au refuge. Beaucoup de pluie et de froid. Nous ne mangeons presque que des champignons dont la cueillette et la préparation occupe une bonne partie de la journée. Nous découvrons un «champs» de «mültebar», littéralement baies de nuage, l’une des meilleures baies que j’ai jamais mangé… ne pousse que dans les endroits très humides. Nous en ramassons des kilos… le soir, j’expérimente une confiture…

Mardi 7 août 2001

La confiture est vite finie au petit déjeuner… retour à Joatkajavrri, là où nous avions laissé la calèche. En suivant la crète du plateau, nous surplombons un extraordinaire paysage… extraordinaire journée, baignée de soleil. Beaucoup de rennes.

Mercredi 8 août 2001

Journée au refuge de Joatkajavrri. Très mauvais temps. Réparation du fond de la calèche tout déchiré…

Jeudi 9 et vendredi 10 août 2001

Il faut que nous revenions sur Alta pour trouver un nouvel axe pour réparer la roue avant de la calèche… retour à la case départ en quelque sorte… nous n’avons pas le choix de toutes façons, car ces plateaux sont trop difficiles pour que je puisse m’y aventurer plus loin avec la calèche… je regrette le temps où je ne voyageais qu’avec un sac sur le dos, où je pouvais traverser montagnes, rivières… je m’attendais pourtant à trouver des chemins pour gagner la prochaine ville à l’Est. Il ne faut écouter ni les cartes, ni les offices de tourisme… Je décide donc de changer complètement mon parcours : une fois regagné Alta et la calèche réparée, nous repartirons au Sud, c’est plus plat, et il y a comme un gros chemin qui servait à relier Alta à Kautokeino avant que ne soit construite la route il y a une vingtaine d’années. Un chemin qui, selon la vieille dame de l’auberge, sera plus facile… Par chance, nous trouvons un gros 4x4 pour nous ramener armes et bagages à bon port. Le terme est bien choisi puique qu’Alta est effectivement un port et que nous plantons la tente dans un petit coin désert de celui-ci, juste à coté de la mer (glacée)…

Samedi 11 août 2001

Départ d’Alta. Tout va bien. Pluie. Jusqu’à demain, il faut suivre ma route goudronnée jusqu’au «chemin» espéré… c’est assez dangereux car il y a beaucoup de camions. Je cours longtemps. Nous atteignons Gorgia.

Dimanche 12 août 2001

Nous trouvons le chemin! Un épais brouillard nous accompagne jusqu’au coucher. Absorbant les bruits et les couleurs, il renforce l’impression de mystère de cette plaine caillouteuse dans laquelle nous nous engageons… Délicieux mélange de soupe et de purée déshydratées avec du beurre et du fromage pour le repas du soir.

Lundi 13 août 2001

Quelques part dans la plaine… l’univers toujours aussi blanc… avancer sur un chemin comme infini sans jamais voir personne ni avoir la moindre idée de l’endroit ou l’on est… pour peu que l’espace et le temps existe encore… Soupe déshydratée au épinards. L’avantage de ce pays, c’est qu’il n’est pas difficile de trouver de l’eau.

Mardi 14 août 2001

Enfin le brouillard se lève et laisse place à un vent fort. Plus rien ne vient entraver la vue qui porte dans toutes les directions jusqu’aux lointaines montagnes à l’horizon. Le soleil bas éclaire les nuées d’une lumière irréelle. Le ciel et ses mille nuages qui défilent et se croisent dans toutes les directions est un spectacle permanent. Jora m’aide avec beaucoup d’enthousiasme pour éplucher les oignons, l’aïl, elle tient la gourde pour que je puisse la remplir, va chercher du bois, s’occupe du feu. Elle ne se lasse pas de partir à en exploration à quelques mètres de la tente, de collectionner herbes, fleurs, feuilles, cailloux, de commenter bruyamment chacune de ses découvertes, d’imaginer des histoires, des légendes et des personnages extravagants dans chaque détails de la nature, des mamans feuilles, des papas branches, des bébés cailloux…

Mais le froid devient piquant. C’est vrai que le 15 août est d’après les gens du coin le début de l’automne. Il commence à faire nuit pendant la nuit, et froid… Tout va devenir jaune en quelques jours. Feuillage des arbustes rabougris disséminés ça et là, herbes, mousses, d’ici à quelques jours, tout deviendra jaune, orangé, rouge. Bientôt, il sera temps de revenir… Chaque parcelle de verdure tente de capter quelques derniers rayons de soleil, comme je tente d’attraper encore quelques images pour les garder en moi. Bientôt, à la mi-septembre, ce sera ici l’hiver, la neige, puis l’obscurité.

 

Nous atteignons finalement Kautokeino le 21 août, Karasuvendo le 27, et la France début septembre…

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